Premier voyage sans W. Je devais donc me faire accompagner par un ami, Denis, pour pouvoir revoir cette ville qui m’aura accompagnée toute ma vie.
Denis avait du temps et l’envie d’aller à Berlin. Il me proposa que nous y allions ensemble. C’était encore trop tôt, mais si je n’y allais pas maintenant, je risquais de ne plus pouvoir y retourner. Et puis, avec Denis, on se connaissait depuis si longtemps que ça me permettait de ne pas rester seul en tête à tête avec tout ce que j’avais vécu dans cette ville.
Le trajet en S-Bahn, entre l’aéroport et le centre de la ville est toujours aussi moche. C’est même rassurant, ça au moins, ça ne change pas.
Il reste encore pleins d’espaces vides et impensés.
Et puis, il y a la gare de Ostkreutz, celle de W. Là, le paysage change. La dune longeant les voies ferrées et son pont pour attendre la station ont été détruits. Et je commence à penser à elle…
À peine arrivée, je retrouve ce graphisme urbain si particulier fait de superpositions du temps, de symboles, de contrastes et de paradoxes.
Nous n’avons pas de programme précis, sinon de marcher dans tous les sens (nous ferons entre 20 et 25 km à pied par jour).
La nuit tombe vite en cette saison. Il pleut, il neige, il fait froid.
La chose à faire est donc d’aller voir les amis, de chercher la chaleur dans les être, les rencontres, les discussions, un peu dans les souvenirs mais pas trop…
Comlme nous sommes chez Arne, pas loin de l’ancien quartier de W, je me retrouve toujours à la frange géographique de la ville et de mes souvenirs. Les deux se mélangent.
Arne doit beaucoup travailler et, en plus, s’est cassé la cheville. Nous passons donc nos journées à marcher et nous retrouvons le soir pour une bière et un repas dans sa cuisine.
Je croise un monument à la mémoire de Ernst Thälmann, dirigeant communiste assassiné par Hitler, et à la vie réinventée par la RDA pour en faire un héros. Avec Vincent von Wromblewsky, nous avons un livre en préparation sur les mémoires autour de ce personnage.
Le fotoautomat, rituel incontournable.
La politique est toujours présente à Berlin. Même quand la ville était une île, les luttes du monde entier y étaient représentées. On ne peut vivre heureux à Berlin, tant que quelqu’un sera malheureux dans le reste du monde. D’où la sensation de profondeur parfois étouffante et de puissance des possibles.
Je passais par cette station, alors en fonction, quand je quittais H…
Le café l’Atlantic que je fréquente depuis 30 ans et qui n’a pas changé. Un repère de plus dans mes pérégrinations.
Céline & Arnaud sont mes liens d’amitiés avec le passé et le présent. Nous nous connaissons depuis quelques années seulement mais toutes nos vies se sont déroulées comme en parallèles.
Il fallait juste attendre le bon moment pour se croiser (encore fallait-il savoir que l’autre existait). J’aime ce sentiment qu’il existe ainsi des centaines d’amitiés possibles, et que pourtant, chacune de celles qui arriveront seront totalement uniques.
Si nous marchons beaucoup, le U-Bahn est tout de même le moyen de se déplacer le plus agréablement (en hiver, l’été, c’est le vélo).
Nos logeons donc donc en pleine Ostalgie. Bien que discrédité par l’histoire, les restes du régime communiste alimentent une double nostalgie : pour ceux de l’Ouest, celle d’un temps où l’on pensait pouvoir freiner l’expansion du capitalisme. Pour ceux de l’Est celle du pays de leur enfance menant à une double trahison (la dictature n’a jamais su évoluer vers le monde meilleur qui était promis, sa disparition n’a apporté que compétitions et destructions).
Les peuples sont fatigués de leurs élites qui restent bloquées dans leurs histoires d’égo et ne travaillent que pour leurs castes.
Les histoires politiques et personnelles se mélangent les unes les autres dans un fatras inextricable.
Certaines pensées continuent d’agir même si on tente d’en efface les noms.
Paradoxe de la diversité des machines à écrire d’un pays qui ne donnait pas la liberté de penser quand aujourd’hui on a la liberté et allons presque tous avec les mêmes outils sur les mêmes plateformes numériques.