J’admire encore la réactivité des Allemands dans leur soutien à l’Ukraine. Pour eux, la guerre semble encore proche et inscrite dans leurs chaires. L’avoir portée dans le reste du monde puis en avoir subit les conséquences, apporte une certaine lucidité qui manque au gouvernement français pétrie d’hypocrisie et de mépris.

Denis refait, spontanément, la photo que W avait fait de moi quelques années plus tôt.

Une nuit, j’avais photographié Arne et W posant devant des affiches administratives datant de la RDA avec « ACAB » tagué dessus.

Cette ville me propose même de mélanger mes souvenirs, comme par exemple, ce service des années 80 que je n’ai jamais eu à Berlin mais bien à Paris quand j’étais enfant.

Sisyphos que j’écoute souvent sur Soundcloud depuis que W m’a fait découvrir la techno.

La plus petite boite du monde, où l’on peut choisir la musique sur laquelle on veut danser pendant quelques minutes et se faire filmer. Il doit y avoir, quelque part sur YouTube, une courte vidéo de W et moi, heureux à se trémousser sur « Deep is The Breath » de Kasper Bjøke qui était notre morceau fétiche du moment.

Le turc qui avait su se créer une maison dans cet interstice entre l’Est et l’Ouest est désormais disparu. Il était sur la frange d’un partie de la ville et se retrouve maintenant en plein milieu.

Quelle trace arriverais-je à laisser dans cette ville ? Et, finalement, pourquoi en ai-je tant besoin ?

Berlin passe son temps à recycler les souvenirs. Pas simplement les constructions ou monuments comme à Paris, mais bien les émotions, bonnes ou mauvaises.

J’ai l’impression de ne plus trop savoir si j’ai encore 20 ans ou déjà 50, si je suis à l’Est ou à l’Ouest, si les utopies vont enfin advenir où laisser place à l’apocalypse, si j’y aurai ma place un jour ou absolument jamais.

Ici aussi les jardins partagés meurent. La gentrification est à l’œuvre partout. La nostalgie ne se nourri pas que du passé mais aussi du présent.

Peut-être ne laissons-nous finalement que des traces inutiles, mais ce qui vibre en nous est si fort, comment est-il possible que ça puisse prendre fin un jour ?

Même les images qui désormais débordent du trop plein s’effaceront.

Dernier jour à Berlin. Je reprends encore la photo de la fenêtre de la cuisine de Arne, comme à chaque fois, comme un rituel. La première fois, il n’y avait pas les immeuble qui, désormais, ferment la vue.

Et puis, je ne voulais pas repasser par la Sonntagstraße mais en me perdant, mes pas m’ont emmenés à passer là où vivait W. Il n’y a plus son nom sur l’interphone. L’appartement a été refait, modernisé et reloué plus cher à son départ. Le nom d’Heidi, en revanche, est toujours là et la boulangère au pied de l’immeuble m’a confirmé qu’elle était toujours vivante.

Et comme c’est le dernier jour, la ville continue de m’envoyer des signes, comme ces sculptures de mon ami Angelo, jouant avec le passé et le présent, l’Est et l’Ouest…

Cette fresque de l’Allemagne de l’Est, que j’ai connue en 1989, avait été longtemps recouverte par des panneaux publicitaires. Désormais inoffensive, elle est de nouveau accessible.

Un squat, déjà vidé de ses occupants, que je ne connaissais pas alors que je passais souvent à quelques rues.

Cette cours où je redécouvre le fait que j’y étais déjà venu pour rencontrer les membres de l’Atelier Le Balto.

Et où j’apprends, que les bouleaux qui la compose viennent de Birkenau. Ils ont été planté par un artiste polonais, qui en a mis ailleurs dans la ville, avec l’aide de l’Atelier Le Balto.

La synagogue « étrangement épargnée » comme le chante mon vieil ami Fantazio dans sa chanson « Berlin Noise ».

La statut d’Adelbert von Chamisso en rénovation. En correspondance à l’Est de la Chamissoplatz à l’Ouest.